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Section 1.1 Les éléments d’Euclide

“Le Nil qui chaque année étend ses eaux sur toute l’Égypte, enlève les bornes des terres de cette contrée; de manière que les propriétaires sont souvent obligés, lorsque ce fleuve est rentré dans son lit, de rechercher le terrain qu’ils possédaient avant l’inondation. Cette nécessité fit inventer aux premiers Égyptiens, les moyens de mesurer que peut avoir un certain espace et ils donnèrent à cet art le nom de Géométrie, qui en notre langue signifie Mesure de la terre. Mais cette science qui dans son origine n’avait eu que cet objet assez simple, sortit bientôt du limon du Nil, où elle avait pris naissance; et devint, pour me servir de l’expression de Platon, l’une des ailes avec lesquelles l’homme s’éleva...”
Ainsi débute la préface de la traduction des Éléments de Déchalles et Ozanam, de 1778. Les Éléments sont un ensemble de 13 livres écrits par Euclide autour de 300 av. J.-C., traitant de la mathématique connue de l’époque. Les livres i à iv traitent de la géométrie plane, les livres v à x traitent des proportions et l’arithmétique et, finalement, les livres xi à xiii traitent de la géométrie dans l’espace. Dans la suite de ces notes une référence comme (v,1) désigne le premier énoncé du livre cinquième.
Ce qui rend ces ouvrages si particuliers est le fait qu’il s’agit du plus ancien exemple connu d’une approche axiomatique et systématique de la géométrie et des mathématiques, approche qui est essentiellement la même qu’on utilise aujourd’hui, plus de 2000 ans plus tard. Bien entendu, les axiomes et postulats ont subi quelques retouches, en particulier grâce à Hilbert, et il y a eu d’autres résultats purement géométriques qui ont été établis plus récemment. Par ailleurs, la théorie des ensembles, qui assure les fondations de toute la construction, est aussi beaucoup plus récente. La liste suivante n’est pas exhaustive mais les ingrédients principaux pour l’étude de la géométrie euclidienne s’y trouvent.
Le livre i commence par donner quelques définitions : les ingrédients de base pour la suite s’y trouvent définis.

Définition 1.1.1.

  1. Un point est ce qui n’a aucune partie.
  2. Une ligne est une longueur sans largeur.
  3. Une droite est une ligne dont l’extension entre deux quelconques de ses points est égale à la distance entre ces points.
  4. L’angle plan est l’inclinaison naturelle de deux lignes coplanaires qui se rencontrent sans être colinéaires
     1 
    La notion de plan est définie au préalable.
    .
  5. Quand une droite s’arrête sur une autre en faisant des angles adjacents égaux, chacun de ces angles est droit et la droite abaissée est dite perpendiculaire sur celle sur laquelle elle s’arrête. Un angle plat est égal à deux angles droits.
  6. Un cercle est une ligne formée par tous les points dont la distance à un point donné est constante. Ce point s’appelle le centre du cercle et la distance en question est le rayon de celui-ci.
  7. On appelle droites parallèles les droites coplanaires qui prolongées indéfiniment de part et d’autre, ne se rencontrent ni d’un côté, ni de l’autre.
Parmi ces définitions on trouve aussi quelques commentaires, ou conséquences, avec leurs démonstrations. Par exemple, il est montré que le bord d’une surface est une courbe. Des réflexions intéressantes y sont faites, comme :
“.. or, y-a-t-il rien de plus absurde que de prétendre qu’en mettant les unes au bout des autres des choses qui n’ont absolument aucune étendue, il en résulte une longueur ?”
L’idée du calcul intégral, ou plutôt sa négation, s’y trouve en germe.
Par ailleurs, les figures sont considérées égales si elles contiennent des espaces égaux, ce qui peut paraître un peu obscur. En effet, la confusion y est notée et clarifiée dans l’édition mentionnée plus haut (voir la Figure 1.1.2, ci-bas).
La définition de l’égalité de figures doit être précisée, car en réalité on parle d’égalité de surfaces.
Figure 1.1.2. Image tirée des Éléments, page 14.

Notations.

Par la suite nous utiliserons les notations suivantes: Si \(A\) et \(B\) sont deux points, le segment ainsi que la droite qu’ils déterminent seront notés \(AB\text{,}\) le contexte devant suffire à faire la distinction. En cas de besoin on écrira “la droite \(AB\)” ou “le segment \(AB\)”. La longueur de ce segment sera notée \(|AB|\text{.}\)
Suite à ces définitions, on trouve des postulats ou demandes, en quelque sorte des outils minimaux permettant de manipuler et construire des objets comme ceux qui ont été définis plus haut. Il s’agit des outils de base avec lesquels Euclide prétend bâtir toute la géométrie et l’arithmétique. Dans la version originale on en trouve 5, mais les deux premiers combinés reviennent à dire que étant donnés deux points \(A\) et \(B\) on peut tracer la droite \(AB\text{,}\) qui s’étend à l’infini. Le troisième postulat dit qu’on peut tracer des cercles si on connaît leurs centres et rayons.
Nous postulerons que:
Le cinquième postulat original, le postulat des parallèles (qui se trouve à être le quatrième ici), est à l’origine de centaines d’années de recherches. Sa négation donne lieu aux géométries dites non-euclidiennes, la plus courante étant la géométrie hyperbolique, le contexte de la théorie de la relativité
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Mais une recherche sur internet avec les mots clés “Escher, géométrie hyperbolique“ mènera à des résultats très accessibles et intéressants.
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Le cinquième postulat
Figure 1.1.4. Le postulat des parallèles dit que les deux droites ont un point commun à quelque part sur le côté gauche de la figure.
C’est grâce à ce postulat qu’il est possible de démontrer que la somme des angles d’un triangle est égale à un angle plat, ou encore que par un point extérieur à une droite, il passe une unique droite parallèle à la première.
Il a longtemps été pensé que ce postulat est conséquence des autres. En 1773, le jésuite italien Giovanni Girolamo Saccheri (1667-1733) publia un traité intitulé Euclides ab omni naevo uindicatus, ou Euclide libéré de toute tache, dans lequel il aboutit à l’indépendance du cinquième postulat par rapport aux autres.
Si sur un segment \(AB\text{,}\) l’on élève des perpendiculaires en \(A\) et en \(B\text{,}\) et si l’on prend sur chacun des segments \(AD\) et \(BC\) de même longueur, on démontre aisément à l’aide de propositions établies par Euclide et n’utilisant pas encore le cinquième postulat, que le quadrilatère obtenu a d’abord les propriétés d’un trapèze isocèle, c’est-à-dire que les angles en \(C\) et en \(D\) sont égaux, voir la Figure 1.1.5.
Le quadrilatère de Saccheri
Figure 1.1.5. Le quadrilatère de Saccheri.
Il reste à examiner la nature des angles aux points \(C\) et \(D\) de ce quadrilatère, dit “quadrilatère de Saccheri” : si en les considérant aigus ou obtus naît une contradiction, lesdits angles ne peuvent qu’être droits. Saccheri montra alors que les deux hypothèses sont incompatibles avec les postulats euclidiens puisqu’elles le conduisent à deux conclusions qu’il estima non-admissibles : la première, à l’existence d’une perpendiculaire commune à deux droites à l’infini, et la seconde, à l’affirmation que deux droites contiennent un espace. Il finit ainsi par dire que ses conséquences “répugnent à la nature de la ligne droite”. Néanmoins, le mathématicien suisse Johann Heinrich Lambert (1728-1777) était en 1766 plus hésitant dans le cas de l’angle aigu, bien qu’il rejetât aussi l’hypothèse de l’angle obtus. Or, il se trouve que, s’édifiant à partir de chacune des hypothèses précédentes, des géométries exemptes de contradictions sont possibles. Ce n’est qu’au début du dix-neuvième siècle que des géométries non-euclidiennes apparurent, notamment grâce à Lobatchevski (1792-1856), Bolyai (1802-1860) et Gauß (1777-1855).
Suite aux postulats, on trouve les axiomes logiques: ce qui permet de tirer des conclusions au sujet des constructions faites avec les postulats et les définitions. Nous ne les donnerons pas tous, mais notons quelques-uns:
Puis, viennent les propositions: constructions géométriques et démonstrations des résultats. Le Théorème de Pythagore se trouve prouvé comme étant le 47\(^{\rm ème}\) énoncé du livre I. Le fait que la somme des angles d’un triangle quelconque égale un angle plat est l’énoncé 32 du livre I, tandis que dans le livre VI, énoncé 2, on trouve le Théorème de Thalès.
La première proposition du livre I est la construction du triangle équilatéral, la dernière du livre XIII la classification des solides réguliers: ceux dont les faces sont des polygones réguliers égaux. On y voit un souci esthétique.